Le festival Groove’N’Move vient de lancer sa cinquième édition et quoi de mieux que le musée d’ethnographie pour faire les présentations: la danse, en discipline historique et miroir singulier d’une époque, d’une ethnie, a totalement sa place dans ce lieu. La salle a beau offrir encore quelques sièges à pourvoir, l’ambiance y est, elle, particulièrement chaleureuse. La température va encore monter en grade, c’est dans l’air et ça se sent. Faisant suite à quelques mouvements de stretching, Olivier Lefrançois — chorégraphe qui nous proposera une pièce pour onze danseurs jeudi prochain — enclenche les premières musiques et demande à ce que la régie augmente le volume de quelques décibels. Le sample entre chaque morceau est le même. Seule l’époque change. Derrière le petit écran de son ordinateur, à son regard taquin, on le sent qui jubile: le maître connaît ses gammes et nous offre un spectacle haut en couleur: bossa, tango, salsa, b-boying, waacking, locking, pointing, popping, tutting, smurf, boogaloo, hype, moonwalk, backslide, marionetting, roboting, sleeping, extasing, crise d’epilepting, etc. J’en oublie. Trop. La liste est longue. Si longue que le corps sera à la peine, et qu’Olivier, sur le point d’abdiquer, devra demander la présence de ses complices disciples en renfort. Ils seront même accompagnés à la toute fin d’une gamine, d’une vétérane et d’une semeuse de troubles chipées dans le public, chacune très entreprenantes, symbole que le hip hop est intergénérationnel. Et taquin. La salle est debout et applaudit comme un seul homme la performance. Bravo Monsieur Lefrançois.

La seconde partie de soirée baigne dans une ambiance fort différente. Bintou Dembélé qui a déjà collaboré avec Grand Corps Malade, questionne la mémoire du corps par strates. Dans son cas, l’histoire du colonialisme coule dans ses veines tandis que la rage qui en émane s’accroche à sa chaire. Parée d’un sweat à capuche rouge, accroupie sur le sol, elle nous tourne le dos et feint de nous ignorer. Elle bouillonne d’une colère intérieure qu’elle laisse grandir et les quelques regards furtifs qu’elle nous lance lorsque nous pénétrons dans la salle désormais enfumée ne font que renforcer ce malaise. Quand la lumière se tamise, la bombe explose et nous voilà partis pour un voyage singulier: point de départ sur le stéréotype d’une jeune de banlieue en référence à Trayvon Martin que l’on a assassiné par délit de faciès. Une fois l’habit de citadine ôté, le corps devient le vecteur d’un parcours qui prend racine dans un village fait de terre, de sable, jusqu’à l’asservissement et l’avilissement de sa population. Le visage grimace. Quand la lumière tombe et que simultanément le corps de Bintou s’affaisse, muselière au bec, on comprend qu’on lui a ôté quelque chose de viscéral. Elle tente de se relever, en vain, ses pieds et mains liés lui empêchent d’accomplir l’entièreté de ses gestes. Or au même titre qu’Ill-Abilities, elle réussit à être différemment capable malgré les stigmates d’un passé douloureux. Délivrance par la transe, jusqu’au cri, glacial. Le sable qui recouvre la scène devient dès lors le symbole de son empreinte, de la trace, de la mémoire.

Vous n’éteindrez jamais cette flamme semble t-elle nous dire à coup de pointing. On veut bien l’alimenter davantage, votre flamme, si c’est pour nous proposer pareille expérience Madame Dembélé.

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